Éducation
April 7, 2024
Aminata Doumbia

AWA: Dans l’ombre de l’inconnu

Naître et grandir sans même un simple bout de papier pour justifier notre existence est une réalité déchirante. C’est comme si nous appartenions à un monde où nous n’existons pas vraiment. J’ai eu la chance d’en avoir dès ma naissance  contrairement à Awa, une jeune fille âgée de 09ans, vivant dans la région de Bouna, une ville du département homonyme, chef-lieu de la région de Bounkani, dans le district du Zanzan au nord-est de la Côte d’Ivoire. C’est une ville où l’on a droit à la vie mais pas à ce papier.

En février 2024, je me suis rendue dans cette région dans le but d’aller rendre visite à Sall Kadidja, une camarade qui venait de subir une opération, afin de lui apporter mon soutien. Ne connaissant pas l’hôpital, j’ai donc demandé à une petite fille du nom de Awa de m’accompagner jusqu’à l’hôpital. Étonnamment, Awa a refusé l’argent que je lui ai offert pour s’acheter de l’eau. Intriguée, j’ai engagé une conversation avec elle pour comprendre son refus. Celle-ci  m’a ouvert son cœur en me racontant son récit.

Awa

Je suis Awa, j’ai 9 ans. J’ai un jumeau. Depuis notre naissance, notre père est absent de nos vies. Ma maman nous dit qu’il nous a quittés depuis 2015. C’est elle qui prend soin de nous.

        Langue: Malinké

À cet instant, une vague d’émotion m’a submergée, mes yeux se sont remplis de larmes. Je lui ai alors demandé si elle et son frère allaient à l’école, et elle a hoché la tête affirmativement, précisant qu’ils fréquentaient l’école Bouna Centre. Son admission m’a soulagée. Ensuite, je lui ai posé la question si elle rencontrait des difficultés à l’école, et elle a répondu positivement, expliquant qu’elle était parfois renvoyée de l’école sous prétexte qu’elle n’avait pas de papiers.

Je lui ai alors demandé s’il s’agissait du papier qui justifie notre existence, et elle a confirmé en hochant la tête. Lorsque je lui ai demandé si elle connaissait l’extrait de naissance et son importance, elle m’a regardée avec incompréhension, demandant en malinké : C’est quoi un extrait de naissance ?. À ce moment-là, mon cœur s’est serré, et je me suis sentie submergée par l’émotion. J’ai pris une profonde inspiration pour reprendre mes esprits et lui expliquer ce qu’était ce papier, consciente de l’injustice de la situation dans laquelle elle se trouvait.

J’ai ressenti un mélange de tristesse et de détermination. Comment était-il possible que Mariam, une enfant qui fréquente l’école, ne connaisse pas l’extrait de naissance, un document si fondamental pour son avenir ? Son innocence face à cette réalité m’a profondément touchée. Cela m’a rappelé l’importance cruciale de continuer à sensibiliser les communautés sur l’importance de l’enregistrement des naissances et de fournir un accès équitable à ces documents vitaux. Même si aujourd’hui, de nombreux parents vivant surtout dans les villages invoquent divers prétextes pour ne pas déclarer leurs enfants à l’état civil. L’éloignement des centres de l’état civil constitue l’une des principales raisons, car ils préfèrent renoncer à ce droit fondamental plutôt que de parcourir de longues distances pour établir des documents administratifs pour leurs enfants. De plus, certains ont évoqué des problèmes financiers auxquels ils sont confrontés, ce qui a un impact direct sur le faible taux de déclaration des naissances dans les différentes régions de la Côte d’Ivoire.

Awa n’est pas la seule à se trouver dans cette  situation. Ce phénomène à la peau dure est, malheureusement, observé dans de nombreuses contrées de la Côte d’Ivoire au point où des milliers d’Ivoiriens, en particulier des enfants en âge d’aller à l’école, se voient privés de ce document fondamental en ce XXIe siècle. Dans les milieux rurals, seuls 47% des enfants sont enregistrés à la naissance, tandis que dans les zones urbaines, ce taux s’élève à 84%. Cette absence de documentation officielle a des répercussions profondes, poussant les adolescents et les jeunes à travailler dans les champs ou à vendre divers articles dans les rues pour subvenir à leurs besoins. De plus, il est important de noter que certains enfants vont à l’école en l’absence de ce papier, croyant ainsi se construire un avenir meilleur.

Solutions Concrètes

Pour remédier à cette situation, plusieurs initiatives sont envisageables. La campagne « No Name », soutenue par la fondation Sébastien Haller et l’UNICEF, œuvre pour garantir à chaque enfant un extrait de naissance, assurant ainsi une identité légale cruciale pour l’accès aux services de base dans différentes localités de la Côte d’Ivoire. Aussi,  L’UNICEF a également soutenu le gouvernement pour mettre en place un système d’enregistrement systématique des naissances dans plusieurs grandes maternités du pays, au point  où  plus de 500 000 extraits de naissance ont été établis pour les élèves  du primaire, en 2018.

De plus, l’Oneci a décidé de rapprocher les centres d’état civil des populations. Il s’agit, à travers cette politique, d’implanter au sein des localités, des centres d’état civil, des bureaux d’ état civil, des circonscriptions d’état civil, des points de collecte communautaires, des points de collectes sanitaires , un terminal de déclaration et un dispositif de gestion. Il envisage de rapprocher 8700 villages des bureaux d’état civil et de créer des milliers d’état civil.

Cependant, ces mesures ne suffisent pas. Il est nécessaire d’avoir un porte-parole dans chaque communauté ou des associations locales pour sensibiliser les parents et pour faciliter la véhiculation des informations. En effet, de nombreux parents affirment que les informations ne leur parviennent pas, en particulier dans les zones rurales. En renforçant la sensibilisation et en fournissant des informations claires et accessibles, nous pourrons encourager davantage de familles à enregistrer leurs enfants à l’état civil, garantissant ainsi leur accès aux droits fondamentaux tels que l’éducation et les services de santé.